Les signes du temps

Le temps s’invite dans mes cheveux.

Des cheveux blancs aiment me rappeler que le temps ne m’attend pas, qu’il suit son chemin.
Je les ai comptés, arrachés, cachés, j’ai réfléchis à les teindre.
Puis j’ai arrêté de vouloir dompter le temps.
Et j’ai fini par les aimer.

“Tu as des cheveux blancs, tu vas les teindre?”

Non.

J’aime l’idée que le temps se rende visible, il me rappelle que l’heure tourne, que les mois changent et que les années s’enchaînent.
Ça me rappelle que mon oisillon grandit et qu’il découvre de plus en plus de choses.
Il est ce que le temps m’a apporté de plus précieux.

Les marques sont là pour nous rappeler que nous sommes vivants.
Cette vie me comble au delà du fait d’être un peu moins brune chaque jour.

Je suis consciente que mes paroles changeront sûrement lorsque j’aurais 40, 50 puis 60 ans.
Je suis consciente aussi que ma condition de vie privilégiée me permette d’avoir de tels propos.
Ressentir les marques du temps dans la solitude, dans la rue ou dans la maladie est un tout autre aspect.
Je comprends aussi qu’on puisse avoir l’envie de figer le temps, de le stopper, de vouloir profiter de moments trop vite passés.

Du haut de mes 29 ans j’aime l’idée d’avoir un corps changeant.
Pour rien au monde je cacherais ces signes.
J’aime les cernes, les rides, ridules et autres patte d’oie.

Cette trace de varicelle me rappelle mes 5 ans, cette vergeture me rappelle un des plus beaux moment de ma vie et cette cicatrice au tendon d’Achille me rappelle des vacances sur une île avec mon père.

Nous sommes une histoire.
Le temps s’y inscrit, s’y grave pour ne jamais s’y déloger.

Et j’imagine ce jour, lorsqu’a 80 ans j’essaierai de me souvenir du jour de mon premier cheveu blanc.

Le premier cri

Un petit corps chaud posé contre moi. C’est le début de la nuit et tu pousses ton premier cri. Ce cri salvateur qui m’a tant fait pleuré. J’avais tant imaginé ce moment, de tant de façons différentes. Je ne l’avais pas imaginé si calme, si serein, si bouleversant. Je ne me suis pas sentie mère, pas tout de suite. Je me suis sentie liée à toi, pour toujours. Tes yeux grands ouverts plongés dans les miens. Tes gestes incontrôlés, ta bouche plissée. Je ne pouvais détourner mon regard du tien. À 22h54 j’ai arrêté de pleurer, de parler, j’ai arrêté d’avoir peur, je t’ai simplement regardé. J’ai pensé à ton père, à notre amour multiplié par ce moment présent, à tout ce que tu allais offrir à nos vies.
Notre vie bouleversée par la tienne. Je t’ai contemplé des heures, des nuits, des jours, n’osant te manipuler de peur de te réveiller. Si petit. Ton odeur et tes gestes lents. Ton souffle chaud. Le temps s’est stoppé pour nous laisser admirer le petit être que tu es. Notre bouleversement. Le plus beau qui soit.

Il y a 13 ans.

Il y a 13 ans, lorsque ma mère m’a dit que j’allais être interne j’ai pleuré.
J’avais 16 ans.
Ma mère était enceinte de 7 mois.
J’allais quitter la maison.
Une ado à l’agonie quoi.

J’étais plutôt timide.
Je ne connaissais rien à la vie.

Louis Aragon.

Mon lycée portait ce nom.
À l’entrée de celui-ci était inscrit cette phrase
Que serais-je sans toi que ce balbutiement.
Cette phrase résume bien cette époque.

J’ai découvert Aragon autant que j’allais y découvrir la vie
J’allais apprendre à me détacher de mes parents.
Apprendre à lier des liens, des vrais.
Apprendre à vivre dans cette toute petite ville.

J’y ai rencontré des êtres, tous plus intéressants les uns que les autres.
J’ai partagé la chambre de plusieurs filles qui resteront bien dans ma mémoire.
On a beaucoup rit.
Vraiment beaucoup.
Cet internat était un terrain de jeux.

Rentrer à la maison le samedi midi et revenir le lundi matin.
Les semaines défilaient et avaient leurs lots de joie et de chagrin.
On a forgé nos personnalités là-bas, on a appris sur nous même.

Nous étions libres.
C’était un petit lycée dans une petite ville et pourtant je pense qu’il était le haut lieu de la liberté.
Nous faisions un peu ce que nous voulions tout en étant très encadrés.
Et j’en remercie les dirigeants.

En fait, nous n’étions pas vraiment à l’école.
On y apprenait l’art.

La musique-les cessions filmées-les sorties-l’Eden bar, combien avons nous bu de diabolo à la violette?-Le dessin-Les installations-Les trucs pourris sur le balcon-les nuits ensemble-Les matins joyeux-les veillées au foyer-les allées et venues dans les couloirs-les chagrins d’amour-les petits dej avec ceux qui aimait le lait et ceux qui ne l’aimait pas- Blair Witch-Unbelievable (dédicace à toi Isa)-Le lapin mort-Les photos-Yvan Etienne-L’art plastique-la cantine-les cuistots-les vacances ensemble-les nouvel an-les salles des fêtes-Les 18 ans-vous.

Je pense souvent à vous.
Avec un brin de nostalgie, la plus jolie période de mon adolescence.

Je souhaite à mon fils de vivre ça un jour, je lui souhaite de forger de telles amitiés.

À Isabelle, Amandine, Mélanie, Héloise, Magalie, Magali, Mélissa, Myriam, Maryline, Caroline, Céline, Charlotte, Ségolène, Raphaël, Grégoire, Tobias, Loane, Marège, Amélie, Fanny, Frédérique, et tant d’autres…

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Lettre ouverte à mon petit bonhomme

Tu es venu au monde.
Je trouve cette expression jolie “venir au monde”.
Tu es venu à lui.
Comme si lui t’attendais.
Une personne de plus.
Une personne qui compte.

Je te souhaite d’arriver à rendre ce monde un peu moins bancal.

Je te souhaite de faire compter ta voix, de défendre tes idées pour que le monde soit un peu plus ou un peu moins.
C’est un peu utopiste, mais c’est réalisable.

Je te souhaite d’aimer.
Un homme ou une femme.
Peu importe.
On se sent vivre en aimant, on a la force d’affronter les pires choses à deux.
De cet amour naîtra des projets, des envies, une voie.
Tu te révéleras à toi même, tu te surprendras.

Je te souhaite d’arriver à suivre tes combats, de les partager, d’en débattre avec ceux qui sont d’accord et ceux qui ne le sont pas.
Sans violence, sans haine.
Je te souhaite d’avoir des échanges ouverts et vrais.

Je te souhaite d’avoir des enfants.
Biologiques ou non.
Et j’espère que cette expérience te chamboulera autant qu’elle l’a fait pour moi.

Je te souhaite d’arriver à ne pas écouter les gens qui essaierons de te décourager, de t’abaisser.
Ceux qui essaierons de te faire peur.
Ceux qui te provoqueront.
Ne les écoute pas.
Passe ton chemin.

Je te souhaite de vivre.
Vivre avec des gens que tu aimes.
Vivre en suivant une route qui te plait.
Vivre joyeusement.

Je te souhaite de garder ton sourire, ton rire.
Tu pleureras sûrement.
Dis toi que c’est passager.
Dis toi que l’on trouve la force de surmonter.

Je te souhaite d’être indépendant.
Je te souhaite de mener ta vie comme bon te semble.

Tu m’as ouvert les yeux sur la vie petit bonhomme, tu m’as fait comprendre, relativiser, apprécier, aimer chaque seconde des moments avec toi.
Ce sentiment est fort.
Je te souhaite de le ressentir un jour.

Belle et longue vie à toi mon petit bonhomme.

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Ma douce

Elle a aimé sans failles.
Elle a suivi un chemin.
Elle a rencontré des gens.
Elle a rencontré mon père.
Elle s’est mariée.
Elle avait les cheveux courts.
Elle a eu un enfant.
Elle m’a protégée.
Elle a ri, vécu, dansé et choyé.
Elle m’a soutenue.
Elle s’est ennuyée.
Elle a aidé.
Elle a divorcé.
Elle a eu les cheveux longs.
Elle a eu les cheveux noir corbeau.
Elle m’a écouté.
Elle ne s’est jamais plaint.
Jamais.
Elle s’est remariée.
Elle a toujours eu une frange.
Elle m’a fait partager ses goûts.
Elle a joué.
Elle a eu un deuxième enfant.
Elle a perdu cet enfant.
Elle s’est relevée.
Je ne sais comment elle a trouvé la force.
Elle a déménagé.
Elle a travaillé.
Elle a eu un troisième enfant.
Elle l’a aimé plus que tout.
Elle a eu peur.
Elle nous a enlacés.
Elle a eu un quatrième enfant.
Elle a été malade.
Une fois.
Puis une seconde fois.
Elle a perdu ses cheveux.
Elle a vaincu.
Elle n’a jamais baissé les bras.
Elle est allée a des concerts.
Elle a vu Iggy Pop.
Elle nous a étonnés.
Elle a défendu des causes.
Elle m’a expliqué la tolérance.
Elle a 54 ans.
Elle est un pilier de ma vie.
Elle est un pilier solide.

Une force aux cheveux blancs.

Ma mère.
Ma douce.

Maman

XY

Je me souviens de ce mois de novembre ensoleillé et de ce matin où nous étions impatients.

Nous vivions le deuxième trimestre de la grossesse et nous pouvions donc connaître le sexe du bébé.
Fille ou garçon.
Je me souviens avoir été mauvaise élève ce jour là.
Tout au long de l’échographie je n’écoutais que très brièvement les paroles du médecin.
Et.

“C’est un garçon”

Ces trois mots m’ont donné le tournis.
Beaucoup d’images dans ma tête,
un clin d’œil de mon mari et toute une vie qui commençait.

J’attendais donc un garçon.

Puis, petit à petit au fil des conversations, j’ai entendu:

– “Avoir un garçon en premier enfant pour un père c’est fantastique”
– “Tu vas pouvoir acheter du bleu!”
– “Tu ne connaîtras pas les poupées”

Mais on m’a surtout dit:

“Si ton fils t’annonce un jour qu’il est homosexuel, tu feras quoi?”

Bizarrement on entend plus communément cette phrase lorsqu’il s’agit d’un garçon, ce genre de réflexion est moins courant à propos d’une fille…

J’ai trouvé cette question très étonnante, surtout qu’à plusieurs reprises ont me la posée pendant ma grossesse.
(Avec une pointe de panique dans la voix.)

Et cette phrase m’a rappelé quelque chose.

Quand j’étais plus jeune, dans la cuisine de ma mère était affiché un poème de Khalil Gibran.
Encadré au dessus de l’évier.
J’ai toujours vu ce poème ici et ma mère aimait me l’expliquer.
Petite je ne le comprenait pas très bien et surtout ne comprenait pas le fait de le positionner dans un endroit aussi stratégique de la maison.
Puis, en grandissant il a illuminé mon esprit.

En voici un court extrait:

Et une femme qui portait un enfant dans les bras dit,
Parlez-nous des Enfants.
Et il dit : Vos enfants ne sont pas vos enfants.
Ils sont les fils et les filles de l’appel de la Vie à elle-même,
Ils viennent à travers vous mais non de vous.
Et bien qu’ils soient avec vous, ils ne vous appartiennent pas.

C’est très vrai
Mon fils ne m’appartient pas.
Il a sa vie à lui.
Nous serons bien évidemment liés mais il sera (est déjà) libre de ses choix.
Il aimera sûrement des livres différents des miens, écoutera de la musique que nous ne connaîtront pas, fera des choix que nous n’aurions pas fait, nous surprendra.

Et c’est en cela qu’avoir des enfants est beau.
Ils sont différents de nous.

“Si un jour ton fils t’annonce qu’il est homosexuel, tu feras quoi?”

Rien.

Je ne ferai rien.
Je l’écouterai si il désire me parler.
C’est sa vie.
À lui seul.

Nous serons là quand il aura besoin de nous et nous saurons être en retrait quand il le faudra.
Je serai heureuse de le voir heureux.
Et triste quand lui le sera.
Mais je ne peux contrôler sa vie.

Mon fils ne m’appartient pas.
Il est libre.

Et cette liberté me comble de bonheur.

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Cette grossesse qui a duré un mois.

J’ai longtemps rêvé d’avoir un enfant.

Comme je l’ai souvent répété j’ai idéalisé la grossesse.
Cette première grossesse est arrivée à une période difficile.
J’étais imprégnée de la joie de créer la vie alors que ma mère se battait contre la mort.

Première expérience contradictoire.

Et puis j’ai fait cette fausse couche qui m’a anéantie.
Les fausses couches sont courantes, je le sais.
Mais je n’ai pas su me relever de cette épreuve.
Ce mauvais moment m’a prit à vif.

J’ai dit “Je n’aurais plus jamais d’enfants”

Et bien évidemment je ne me suis pas arrêtée là.
C’est donc avec beaucoup de distance que j’ai appris que j’étais à nouveau enceinte.
J’ai essayé de ne pas me projeter trop vite, à tel point que j’avais du mal à réaliser mon état.
J’ai détesté être enceinte.
Je ne voyais que de l’angoisse dans cet état.
L’échographie étant le passage le plus détesté bizarrement.
Peur de l’annonce d’une anomalie, peur d’un retard de croissance, bref pas vraiment de plaisir.
Après les nausées qui ont durées 5 mois, j’ai découvert mon ventre qui s’arrondissait.
C’était un moment que j’attendais avec impatience.
Et rien.
J’imaginais une émotion intense, le début d’une nouvelle vie.
Rien.
J’ai ensuite passé 3 mois allongée.
Autant vous dire que je n’aimais toujours pas la grossesse.
Je comptais les jours et je voulais accoucher au plus vite.

Et…
Il y a eu un déclic.

À 8 mois de grossesse.

On m’a autorisée à me lever et à reprendre des activités normales.
J’avais prit 20 kilos, mon ventre était énorme, je me déplaçais avec difficultés mais je me sentais bien.
Je me sentais vraiment enceinte.
J’aurais pu faire le tour du monde avec une énergie débordante.
Je savais que je pouvais accoucher à tout moment et qu’il n’y avait plus de risques.

Ma mère, de son côté, gagnait son combat contre la mort.

La vie se rééquilibrait et reprenait le dessus.

J’ai aimé être enceinte un mois.
Un mois de pur bonheur.
Un mois vécu à fond.

Mais ce mois là, en valait 9.

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Vouloir allaiter et être bloquée

Je faisais partie des mères qui rêvaient d’allaiter.
J’avais tout préparer.
Les crèmes hydratantes, les coussinets, les coupelles récupératrices en plastique, dès que j’arrivais chez la sage-femme je posais des multitudes de questions sur l’allaitement.

Je voulais allaiter plus que tout.

J’avais eu l’exemple de ma mère qui allaitait ses enfants, facilement et avec bonheur, la femme de mon père et ma tante, toutes trois parlaient de bonheur absolu, de lien fort, de moment privilégié.

J’étais prête!

Le 10 mars 2012 à 22h54 et après un marathon de plus de 30 heures, l’oisillon est né.
La sage-femme m’a posé Léon sur moi et immédiatement dans ma tête j’ai pensé: “Je ne PEUX pas l’allaiter”.

Bloquée.

J’étais chamboulée. J’avais mal. J’étais fatiguée. Je n’avais pas imaginé un accouchement aussi violent.
Mon mari est venu près de moi et je lui ai répété “Je ne veux pas l’allaiter”. Il a tenté de me “raisonner”, lui qui m’avait vu tellement impliquée pour l’allaitement.
J’ai tout de même mis L’oisillon au sein pendant la nuit et le lendemain matin.
Devant ma détresse les sages-femmes ont été exceptionnelles.
Très présentes.
Ne m’imposant pas leur façon de penser.
Me disant que parfois on ne choisit pas, me parlant également de la bonne santé de l’oisillon, de prendre mon temps…

Vers 14 heures le lendemain l’oisillon a bu son premier biberon.
Et ce moment a été privilégié.
Je me suis sentie bien, il me regardait, la tension s’apaisait.
Je me sentais tout de même une mauvaise mère. Celle qui se cache un peu pour donner le biberon.

Et puis j’ai compris une chose. Tant que je n’avais pas vécu ce moment de la naissance je ne pouvais pas connaître mon choix.
Je voulais et je n’ai pas pu.
J’étais un peu traumatisée de cet accouchement.
Je ne l’aurais pas cru.
La bataille des pro et des anti-biberon/allaitement me rend triste, car parfois on ne choisi pas.
C’est le choix qui s’impose de lui même.
Le corps et les émotions s’emmêlent parfois, on se perd un peu dans ce nouveau rôle. On veut bien faire.
Et finalement, L’oisillon est en pleine forme, il aime être près de moi et il aime être près de son papa.

Chaque femme allaite. Au sein ou au biberon. mais elle allaite son oisillon.
Allaiter au biberon